« Les villes que j’ai vues vivaient comme des folles », s’exclamait Apollinaire en 1913. Attendu depuis le coeur de cet hiver nucléaire, le retour des « jours heureux » semble encore bien éloigné…

« Viens, viens que nous allions ensemble pendant cet après-midi de printemps, viens qu’on aille à travers la ville, qu’on parle, de tout, c’est le bonheur de vie, qu’on regarde le mouvement, la ville à travers les vitres, la lumière jaune répandue… » (« Les Yeux verts », Marguerite Duras, « Cahiers du cinéma », 1980).

En relisant ces lignes, je songeai à cette belle expression – « un abrégé de l’univers » – qui s’applique si parfaitement à Paris, capitale et ville-monde irradiante : tout un monde contenu dans une ville…

L’urbanisme, dans sa froideur technocratique habitée de densité, de flux, de zones et de servitudes, s’est souvent paré d’épithètes émollientes : urbanisme transitoire, unitaire, résilient, commercial, tactique, etc.

A rebours, le philosophe Pierre Sansot, dans « Poétique de la ville » (Klincksieck, 1973), nous avait enseigné la géographie sentimentale et symbolique de la cité, de ses venelles et de ses carrefours, à la lueur de dérives nocturnes et d’aubes renaissantes.

Avec « Du bon usage de la lenteur » (Payot, 1998), le même Pierre Sansot fait l’éloge d’un urbanisme retardataire qu’il appelle de ses voeux.

Lisons et savourons : « Ce ne sont pas les hommes, ce sont les lieux même qui, en vertu de leur génie, se montrent capables de capter notre être, de le rendre captif, de lui laisser entendre que là, en ce point, réside le bonheur […]. Je désirerais que l’on conserve ou que l’on restaure des espaces d’indétermination où les individus auraient la liberté de demeurer dans un état de vacance. »

Et si la « ville du quart d’heure », cette ville de la proximité généralisée, était aussi celle du quart d’heure… de retard ?

Jacques-Franck Degioanni

Journaliste et chef du service « Architecture & urbanisme », Le Moniteur.

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