Je dois dire que lorsque que mes chers partenaires architectes voyers, et néanmoins amis, m’ont sollicité pour participer à ces Assises, je ne savais pas trop comment dire ou expliciter le rôle ou les fonctions d’un architecte au sein de la maîtrise d’ouvrage ou de la maîtrise d’œuvre qu’elle soit publique ou privée.

Je n’allais pas vous faire subir le déroulé de mon curriculum vitae… Mais, je me suis aperçu que mon parcours professionnel au sein de la Ville de Paris, dans les domaines de l’urbanisme et de l’aménagement, m’avait permis d’entrevoir « les deux côtés de la barrière », à savoir : d’un côté la maitrise d’ouvrage publique et de l’autre la maîtrise d’œuvre privée et plus récemment la maîtrise d’œuvre publique.

Je vais essayer de ne pas vous lire ce court texte que j’ai préparé mais plutôt de vous le dire avec quelques images qui peuvent illustrer mon propos.

J’ai été successivement, ou simultanément, dans des équipes de maître d’ouvrage public, de co-maître d’ouvrage, d’assistant à maître d’ouvrage, d’assistant à maître d’œuvre privée, de co–maître d’œuvre … et ouf ! Aujourd’hui de maître d’œuvre d’espaces publics urbains.

Je pourrais aussi comparer ces expériences professionnelles comme pourrait l’être un espace public qui est une sorte de liant entre l’urbanisme et l’architecture qui est peut être parfois plus important que l’architecture elle-même.

opération d'aménagement

Lorsque j’étais un « jeune » chargé d’opération d’aménagement à la Direction de l’Urbanisme, l’organisation était encore assez simple. J’étais un « passeur », une sorte de garant des règlements et d’autres prescriptions d’urbanisme entre des puissants maîtres d’ouvrage parapublics (les SEM d’aménagement qui gouvernaient les ZAC) et de l’autre un maître d’œuvre urbain public très présent, l’Atelier Parisien d’Urbanisme (l’APUR), et enfin une foultitude de maîtres d’œuvres privés : des architectes et des urbanistes en mal de commandes et le plus souvent « des stars du moment ». En effet, j’avais hérité du dossier de la ZAC Paris Rive Gauche dont la SEMAPA disait à l’époque, non sans prétention, qu’elle était la plus grande opération d’urbanisme de France…

Les choses étaient assez simples (trop simples peut-être) ; il y avait trois acteurs principaux : l’APUR qui pensait le cadre urbain général, des architectes coordonnateurs privés qui développaient les formes urbaines, et la SEMAPA qui était l’aménageur.

tramway

Par la suite, j’ai saisi l’opportunité du retour historique du tramway à Paris pour intégrer l’équipe de la Mission Tramway qui était une maîtrise d’ouvrage à deux têtes, une co-maîtrise d’ouvrage. Les choses commençaient donc à se compliquer… La RATP avait en charge les équipements ferroviaires (la plateforme, les stations, l’atelier garage et même le matériel roulant), la Ville de Paris avait en charge tout le reste de « façade à façade ». J’étais en quelque sorte l’architecte de service de la maîtrise d’ouvrage qui était responsable des marchés « qualitatifs » du projet, c’est-à-dire les marchés de fournitures des matériaux, de plantations, de mobiliers urbains et surtout celui des relations avec la maîtrise d’œuvre : le bureau d’étude et son architecte. Mon rôle était donc ambivalent, en tant qu’architecte, j’étais enclin à aider la maîtrise d’œuvre dans le développement de leurs propositions, et en tant que membre de la maîtrise d’ouvrage, je devais leur rappeler régulièrement les limites de leur projet au regard des contraintes financières et calendaires. De plus, je pouvais leur asséner le coup de grâce en convoquant l’exploitation du domaine public de voirie ou encore les exigences de mes collègues de la propreté ou des espaces verts car j’étais aussi agent de la direction de la voirie (…).

Faire partie d’une co-maîtrise d’ouvrage ne simplifie pas les choses car cette organisation multiplie les réunions et freine les décisions et les délais. De plus, elle ne favorise par la recherche de la qualité car celle-ci se dilue le plus souvent dans un consensus. Chaque maître d’ouvrage ayant tendance à défendre son pré carré et à ne pas jouer la continuité ou les continuités du projet.

Néanmoins, dans une organisation de co-maîtrise d’ouvrage, l’architecte de la Ville peut être très utile et surtout ingénieux car il a toute l’attitude pour rappeler au 2nd maître d’ouvrage ( la RATP ) les exigences qualitatives du projet, surtout si une partie de celles-ci sont payées par la Ville. Et d’un autre côté, il peut faire pression sur sa propre maîtrise d’ouvrage en arguant de la continuité et de l’homogénéité de traitement de l’espace public. Cela a été le cas pour les mobiliers des stations du tramway et ceux de l’éclairage public ou encore des revêtements de sol.

Outre la double maîtrise d’ouvrage, il y a avait aussi une autre bataille…, ou plutôt un autre enjeu majeur… : celui du leadership de la maîtrise d’œuvre d’infrastructure. Le mandataire du lauréat de ces grands marchés de maîtrise d’œuvre était à l’époque et le plus souvent : le bureau d’étude. Il était admis que l’architecte et le paysagiste étaient relégués en sous-traitance dans la mesure où ils n’avaient pas les garanties financières au regard du montant des marchés. Cela avait un impact direct sur la qualité des projets, car in fine c’est le bureau d’étude mandataire qui avait le dernier mot, et d’une façon indirecte sur le montant des honoraires des architectes ou des paysagistes… Les choses depuis ont changé au profit des architectes qui sont redevenus mandataires (le plus souvent mais pas toujours…) pour ce type de marchés publics.

espaces publics parisiens

Après ces expériences de maîtrises d’ouvrages publiques, je suis passé de l’autre côté de la barrière depuis maintenant quelques années, du côté de la maîtrise d’œuvre publique, c’est-à-dire des projets réalisés « en régie ». Elle se déroule au sein d’une agence d’architectes, d’ingénieurs et de techniciens, fonctionnaires ou contractuels, au Service des Aménagements et des Grands Projets (SAGP) de la Direction de la Voirie. Elle œuvre pour de nombreux projets d’espaces publics parisiens plus ou moins grands, plus au moins complexes.

Les missions sont variées, puisque l’on peut naviguer entre la maîtrise d’œuvre de conception des espaces publics, l’AMO : l’assistance à des maîtres d’ouvrage internes ou externes à la Ville de Paris, et le conseil ou le référent sur de nombreux sujets qualitatifs qui intéressent la Direction et plus globalement les services de la Ville.

maitrise d'oeuvre publique

Les architectes de cette « agence publique » sont aussi des interlocuteurs privilégiés pour les chefs de projets maîtres d’ouvrage. Ils ont un rôle moteur dans la définition des programmes des projets et de façon induite dans les choix d’aménagement proposés. Avec un peu d’expérience et de savoir-faire technique, ces quelques architectes (4 ou 5 selon les années…) peuvent rendre de nombreux services à la Ville. Ils rendent beaucoup plus facile et efficient la conception et l’exécution des projets car ils savent combiner entre l’addition des attentes des élus (qui ne cessent d’augmenter…), les contraintes d’aménagement de voirie (qu’ils connaissent forcément mieux que d’autres), les « doctrines parisiennes » et surtout le respect des budgets. En résumé, ils font gagner du temps et de l’argent à la Ville de Paris.

Certains diront qu’ils sont plus malléables que des maîtres d’œuvres privés, d’autres diront au contraire qu’ils ont l’expérience pour que les projets fonctionnent et soient exploitables. Une chose est sûre, ils sont encore là en première ligne après la phase de réalisation, et ainsi ils reçoivent d’emblée les retours négatifs des usagers ou des exploitants de ces nouveaux espaces publics. Aussi, ils évitent de faire deux fois la même erreur… de dimensionnement, de géométrie des tracés, de nivellement, d’écoulement des eaux, de choix de structures de fondation ou encore de revêtements de sols. D’une certaine manière, ils s’inscrivent ainsi dans la durée, dans le temps long des aménagements qu’ils conçoivent.

espaces publics

Ces dernières années de maîtrise d’œuvre publique m’ont montré également des évolutions assez rapides tant dans le domaine de la maîtrise d’ouvrage que dans les conditions des commandes publiques. On peut dire que les choses se sont compliquées en même temps que les équipes de maîtrise d’œuvre se sont agrandies et celles de la maîtrise d’ouvrage publique se sont stabilisées pour ne pas dire réduites.

D’abord la maîtrise d’œuvre s’est démultipliée. Il y a environ une quinzaine d’année, un maître d’œuvre proposait une équipe resserrée autour de l’architecte ou du bureau d’études, selon qui était mandataire, et il s’associait les services d’un paysagiste, d’un concepteur lumière, et c’était à peu près tout.

Il y a environ une dizaine d’années, les équipes ont commencé à s’agrandir en y rajoutant d’autres compétences : en circulation, en environnement et en concertation. On en était déjà à des équipes de 7 à 8 interlocuteurs dans des domaines différents.

Aujourd’hui, on est presque à pas moins de 10 interlocuteurs dans un groupement de maîtrise d’œuvre. On a commencé à y voir ou revoir des prestataires oubliés ou de nouveaux consultants en développement durable, des programmistes, des architectes spécialisés dans la co-construction, des graphistes, des sociologues, des cabinets d’avocats et même des cabinets de notaires…

On comprend que cette poussée de sous-traitance est sans doute liée aux demandes croissantes des élus qui induisent des exigences programmatiques de plus en plus variées. Néanmoins, la maîtrise d’ouvrage publique est bien souvent désarmée face à cette maîtrise d’œuvre démultipliée. D’une part, elle a, pour le moins, de grandes difficultés à coordonner tout ce petit monde, et d’autre part, elle n’a pas forcément les compétences ou les experts en interne pour évaluer objectivement et techniquement les propositions parfois innovantes de la maîtrise d’œuvre. Par ailleurs, les équipes de maîtrise d’œuvre ont du mal à se coordonner elle-même. Ce que l’on comprend aisément vu leur grand nombre de prestataires.

aménagements divers

Plus récemment, et j’en finirai par-là mon propos, on a pu constater un autre accroissement d’acteurs de la maîtrise d’ouvrage et de la maîtrise d’œuvre à l’occasion du lancement des marchés de maîtrise d’œuvre et de prestations intellectuelles pour l’aménagement de sept places parisiennes.

Il a été mis en place un dispositif assez original (ou d’aucuns diront quelque peu complexe) : une double maîtrise d’œuvre sur une distinction entre « sol et aménité » c’est-à-dire entre « infrastructure de voirie » et « nouveaux usages ». L’organisation prévoyait un maître d’œuvre n°1 qui était selon les places soit un maître d’œuvre public interne à la Ville de Paris, soit un maître d’œuvre privé externe à la Ville. Celui-ci s’occupait de la conception des aménagements des espaces publics de voirie, et le maître d’œuvre n°2 qui était un collectif de compétences pluridisciplinaires avait en charge la conception d’objets légers, d’interventions végétales ou encore d’équipements destinés à remplir des usages à priori nouveaux ou préexistants sur les sites concernés.

En plus de ce dispositif, il faut y ajouter une maîtrise d’ouvrage publique à trois têtes (cette fois ci …), à savoir : le Secrétariat Général (SG), la Direction de la Voirie et des déplacements (DVD) et la Direction des Espaces Verts et de l’Environnement (DEVE).

En comptant bien, ça fait 3 équipes de maîtres d’ouvrage et au moins 2 équipes de maîtres d’œuvre. Il est possible que l’on ait atteint un record dans la démultiplication des maîtrises d’ouvrage publiques et des maîtrises d’œuvre privées ou publiques. Une chose est sûr, cela a été très chronophage pour mes collègues maîtres d’ouvrages mais aussi pour les maîtres d’œuvre qui ont rencontré une charge de travail là aussi démultipliée et un temps d’études rallongé.

Comme vous le voyez, j’ai donc pu constater, comme d’autres dans d’autres domaines de compétences, une lente progression vers la complexité des « systèmes », des organisations qui gouvernent la maîtrise d’ouvrage et la maîtrise d’œuvre des projets, en particulier ceux pour les espaces publics.

Aussi, cela nous renvoie à une question que je vous soumets (…) : La complexité progressive de l’organisation des maîtrises d’ouvrages et des maîtrises d’œuvre a-t-elle été bénéfique à la qualité des projets réalisés ?

Benjamin Le Masson

Architecte-voyer de la Ville de Paris

Benjamin Le Masson est architecte-voyer en chef, urbaniste IEP, et enseignant vacataire à l’Ecole des Ingénieurs de la Ville de Paris. Il est actuellement affecté à la Direction de la Voirie et des Déplacements de la Mairie de Paris.

 

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